« To
Save Everything, Click Here » (Pour tout sauver, cliquez ici !) Avec ce titre un brin sarcastique, Evgeny Morozov a signé cette
année un livre provocateur sur un travers bien commun des passionnés des
nouvelles technologies : croire qu'Internet a la solution à tous nos problèmes.
Décentralisation, horizontalité, transparence, collaboration en sont les
maîtres mots. En mettant notre monde en données, il le rend meilleur.
Pour les internet-centristes,
la technologie aurait des qualités intrinsèques : le modèle de distribution de
l'information dessinerait une société dont on peut prédire les contours.
Comment pouvons-nous ne pas réformer le monde quand on sait que quelque chose
d'aussi peu probable que Wikipédia fonctionne réellement ? Ce à quoi Morozov
répond : "Que faire si les limites à la participation découlaient d'un
effort délibéré pour extirper le populisme, éviter la cooptation ou protéger
les décisions des experts ? L'internet ne serait-il pas une solution à un
problème qui n'existe pas ?"
Le solutionniste, quant à
lui, a la manie de vouloir tout réparer grâce à Internet. Y compris des choses
dont personne n'avait réalisé qu'elles étaient abîmées ... Par exemple
lorsqu'ils veulent "socialiser nos choix" par les
recommandations en ligne - en tenant pour acquis qu'un choix est meilleur s'il
nous est dicté par un autre ou par la majorité. Selon Morozov, c'est le fait
d'avoir au quotidien de nombreux choix à faire, et d'accepter de devoir en
réaliser certains dans la douleur, qui fait de nous des êtres matures - et des
humains.
Il y a fort à parier qu'on soit tous concernés par les biais de pensée
que dénonce Morozov. Peut-on parler d'Internet sans être (un peu)
Internet-centriste ? C'est probablement aussi difficile que de parler de
l'Homme sans anthropocentrisme. Voilà au moins de quoi se consoler : nous
sommes en bonne compagnie !