C’est devenu l’expression managériale et politique à la mode : «Changer de logiciel». Ce succès n’est que le symptôme, un peu plus récurrent que les autres, d’une transpiration généralisée du langage informatique dans les échanges courant pour à peu près tout et n’importe quoi. On parle comme on tape sur ces quasi-sujets que sont devenus les ordinateurs, censément prothèses de soi, qu’on voudrait tout autant domestiqués que domestiques, entre autres pour contrarier certains tourments privés - eux, par contre, irrémédiablement indomptables.
(...) au petit matin du 1er janvier 2000 rien n’avait bugué, ni le micro-onde ni le Pentagone, le bug allait se venger en se disséminant dans le babil psychologisant : «Sophie a eu un gros bug dans sa vie de couple, je te raconte pas.» Puis, un peu las de voir du bug partout, y compris là où il n’aurait jamais dû se fourrer («Flûte, j’ai un bug dans mon slip !»), on a enchaîné avec du «disque dur», là encore à toutes les sauces : «Si tu vires André, pardon, mais tu touches direct au disque dur de l’entreprise…» Juste avant le raz-de-marée du «logiciel».
Tout le monde s’accorde sur un point : il faut le changer. Pour un monde plus écolo, une meilleure productivité en entreprise, un équilibre familial retrouvé, ne tournez plus autour du pot, changez de logiciel ! Trop cool (...) Qui dit logiciel dit intelligence : artificielle, soit, mais pas vagabonde ou détraquée, non, «efficace», «performante», «compétitive». Et, comme si la coupe n’était pas déjà pleine, on s’est mis à vouloir faire des «mises à jour» de logiciel pourtant régulièrement changé dès qu’on a un instant de libre : «Hé, Fred, t’as besoin d’une sérieuse mise à jour, ton logiciel ne capte plus rien au monde moderne.»