Sur le terrain, rien n’a vraiment changé, et l’approche évidente pour créer de la valeur à court terme est de réduire les coûts. Les salariés des entreprises cotées se débattent donc plus que jamais avec des managers dont l’unique outil semble être une feuille Excel, et des départements Achats qui remettent aux calendes grecques la mise en place de nouvelles machines, ou changent de sous-traitants tous les ans pour de nouveaux moins chers, sans se soucier des conséquences à moyen terme, comme la perte de compétitivité, la perte de savoir-faire et l’augmentation des plaintes au sein du service après-vente. Autre variante de l’obsession pour la création de valeur à court terme, un top-management qui répond « Je ne veux pas le savoir », quand on lui fait remonter un problème potentiellement grave. On a vu où cette approche a mené Volkswagen.
Mais qui peut penser sérieusement que Steve Jobs a consacré 90 % de son temps pendant la période 2000-2007 aux réductions de coût et aux résultats trimestriels ? Pour relancer Apple, il a dû consacrer l’essentiel de son temps au développement des produits (dans l’ordre, l’iPod, l’iPad et l’iPhone) qui ont permis à l’entreprise de devenir la plus importante capitalisation boursière du monde entre 2012 et début 2016.
Plus ironique, il semble bien que les entreprises qui privilégient l’exploitation (au détriment de l’exploration) aboutissent à des résultats inférieurs en termes de création de valeur pour les actionnaires. Dans leur article « Don’t let your company get trapped by success » (Harvard Business Review, novembre 2015), Martin Reeves et Johann Harnoss, deux consultants du Boston Consulting Group, ont montré que les sociétés qui privilégient l’exploitation d’activités maîtrisées ont connu, pendant la période 2004-2014, une croissance annuelle moyenne de 4,7 %, contre 10,4 % pour les « explorateurs ». Quant au retour sur investissement pour les actionnaires, il est également supérieur pour les entreprises exploratrices (11,5 % par an, en moyenne), comparé à celui des autres entreprises (9,1 %).