Aujourd’hui, le « moi » est
chéri comme jamais. Fétichisé jusqu’au sacré, affiché jusqu’à l’obscène,
omnipotent jusqu’au délire. Il peut devenir heureux, rendre service, donner un
sens à la vie, changer le monde à lui tout seul et même se prendre en photo.
Voilà notre fléau nouveau : l’e-narcissisme compulsif.
Le problème que pose
l’hypertrophie du Moi virtuel ou iMe, c’est justement l’impossibilité de
composer un Nous qui ne soit pas un agrégat hautement friable de Narcisse
étanches. Un Nous de pacotille, formé de Moi-confettis, règne sur les
prétendues « ambitions collectives », les fêtes footballistiques ou les «
projets » entrepreneuriaux. Un « vivre ensemble » de pétition, individuellement
ajustable, contrôlable et réfutable à l’envi. Un Nous perso.
Dans la novlangue de l’homo
œconomicus, le concept-clé d’ « assertivité » dénote l’attitude de celui qui
défend ses droits sans juger ni agresser autrui. La parole vivante et
enthousiasmante se change alors en discours stratégique, fonctionnel,
humainement stérile. Contrôle des effusions et bienséance des conflits : le
nirvana managérial ! Défendre ses droits sans empiéter sur ceux des autres
? Une fiction à l’eau de rose.
Plus qu’un changement de mentalités, c’est un changement des
subjectivités : « Faisons des choses ensemble, puisque nous nous aimons ».
Les iMe doivent redevenir sensibles et créateurs, ouverts sur des altérités et
des alternatives fécondes, des échappées belles. Le Nous à réinventer doit donc
être composé de Je(ux). Un Nous de l’onde de charme, celle de la passion du
partage, des rencontres et des collaborations exaltantes. Un Nous exhilare, un
Nous de printemps.