Il serait bon d'avoir un peu
de modestie numérique. Malgré l'abondance des écrans qui nous entourent, Homo
sapiens n'est pas devenu Homo numericus. La parole, les gestes, les mimiques
restent d'usage courant au sein des sociétés humaines. Nous ne sommes pas
encore les expérimentateurs d'un nouvel âge de l'information. Mais nous sommes
entrés dans une époque neuve qui ne nous laisse aucun répit : le temps de la
connexion permanente.
Internet n'évolue pas selon
le plan secret de quelques éditeurs ou producteurs de technologie qui fixent
son devenir. Sa transformation brutale résulte des nouveaux usages de millions
de personnes. Toute innovation finit par être dépassée ; le seul élément
durable, c'est la connexion. Un login ajouté au mot de passe pour avoir accès à
un réseau : voilà le léger bagage que chacun est sûr d'emmener demain avec soi.
Il s'agit d'un mouvement d'une ampleur historique, semblable à la
migration de masse d'une population vers un nouveau continent, en l'occurrence
le numérique. Quand on a des milliers ou même seulement des centaines d'amis
sur un réseau social, on ne parle pas à chacun d'eux, on se connecte. Et
l'objet de la connexion c'est d'abord de se connecter à d'autres. On pense à la
confidence du peintre Henri Matisse, "je ne peins pas les choses ; je ne
peins que leurs rapports".