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« PETITS ÉCRITS » SUR LE MANAGEMENT : le blog

MSP « Management Successful Programs »

« Un projet, c’est facile ». Un programme est un ensemble de projets qui concourent à un même objectif et qui contribuent à générer les bénéfices escomptés par l’organisme. Le management de programme se charge de gérer les évolutions de priorités et de stratégie, les positions des parties prenantes face au changement, la cohérence des projets. L’expérience montre que les échecs sont nombreux. Plutôt que de conceptualiser et « faire de l’esprit », le pragmatisme pousse à formaliser les bonnes pratiques et chercher à les améliorer. C’est l’objet de MSP, cette méthode de management de programme liée à Prince 2.

Avant tout, une détermination à réussir

« Un projet, c’est facile ». Certains auditeurs de notre rencontre « Autour d’un verre » auraient pu être choqués par cette affirmation si elle n’avait pas été assénée sous forme de boutade par nos invités du jour, deux éminents experts certifiés de Prince 2, la célèbre méthode de conduite de projet.

Justine SABIN est directrice de Programmes à l’ESC-Lille, la première Business School française à avoir intégré PRINCE2 et MSP. Elle aide actuellement plusieurs organisations à mettre en place ces deux méthodologies, dont la Direction Générale de la Modernisation de l’Etat (DGME). Graham SMITH est un consultant britannique très expérimenté dans ces domaines et qui intervient de concert avec l’ESC-Lille depuis quelques années.

Graham nous évoque la période Thatcher et les impératifs de changements majeurs exigés notamment dans les organisations publiques britanniques. Le calendrier a été soutenu, les difficultés étaient grandes, et les échecs n’étaient pas absents … Mais il fallait absolument progresser.

Plutôt que de conceptualiser et « faire de l’esprit », le pragmatisme anglo-saxon pousse à formaliser les « bonnes pratiques », les diffuser et organiser le retour d’expérience pour les améliorer. Près du berceau de MSP, on retrouve l’Office of Government Commerce (OGC) qui a notamment contribué au développement de Prince 2 et d’ITIL.

Selon nos invités, le déploiement actuellement en cours à la DGME de Prince 2 et de MSP entraînera leur introduction dans beaucoup de ministères, d’administration et d’établissements publics.

Les grandes entreprises françaises d’envergure internationale l’adopteront également, car elles ont besoin de cadres méthodologiques mondialement diffusés pour réussir leurs programmes à leur échelle. C’est le cas de Prince 2 et MSP qui sont déjà traduits dans une dizaine de langue.

Réussir le changement ? Tout un programme !

« Un projet, c’est facile car les livrables sont définis ». L’origine du programme est dans la vision fournie par la stratégie. Le programme doit formaliser les bénéfices qui sont attendus, définir la nature de leurs indicateurs et les moyens de les estimer, de les quantifier. Le programme doit identifier les projets à lancer, leurs livrables finaux et le macro-planning, et bien sûr coordonner l’ensemble en mouvement.

Alors que le résultat d’un projet se concrétise par un produit (quelque soit la matérialité de l’objet), la première question que se pose un programme est « qu’est-ce qu’on doit faire ? », le comment vient plus tard … Le résultat d’un programme se mesure par l’atteinte des bénéfices. On comprend alors que l’horizon temporel du programme est bien plus vaste et profond. Le programme commence bien avant le démarrage de son premier projet et se termine bien après la fin du dernier.

Pour décrire l’environnement du management de programme, la métaphore utilisée du « nuage » évoque bien le caractère encore vaporeux sur lequel doit s’appuyer le programme. On ne fait pas référence ici à Cupidon car le programme n’est pas « sur un nuage » : il est dedans, et le temps est souvent orageux !

Les parties prenantes du programme sont nombreuses, et les intérêts qu’ils défendent sont divers et parfois (voire souvent !) contradictoires. Il faut être clair : il y aura des parties prenantes qui vont gagner et des parties prenantes qui vont perdre. Le management de programme est au milieu et se doit d’être transparent.

MSP : une boîte à outils et un vocabulaire

MSP est avant tout une boîte à outils. Comme Prince 2 se nourrit du retour d’expérience en management de projet, MSP se nourrit du retour d’expérience en management de programme. Une version nouvelle apparaît environ tous les deux ans.

Le premier type d’outils sert à cartographier les bénéfices, quelque soit leur type : financier et autres. Il faut aussi déterminer leur métrique. C’est fondamental puisque chaque situation et chaque décision sera évalué en regard de leurs impacts sur les bénéfices.

Le second type d’outils sert à cartographier les parties prenantes. Il faut comprendre et qualifier les intérêts de chacun. L’influence des parties prenantes est la principale préoccupation du management de programme. Elles ont de l’influence sur le programme car l’environnement et la stratégie peuvent évoluer.

Symétriquement, le management de programme doit chercher à avoir de l’influence sur les parties prenantes et leurs perceptions du programme. Des plans de communication spécifique sont élaborés dans ce sens.

MSP se préoccupe de la gouvernance et de l’organisation du programme à ses différents niveaux. Les sponsors se situent au plus haut niveau de la hiérarchique, ils peuvent intervenir sur plusieurs programmes en parallèle. Les équipes du management de programme sont autour du chef de programme et travaillent avec les différents chefs de projets.

Le management de programme s’intéresse aux relais du changement dans l’entreprise que sont les gestionnaires opérationnels, les personnes de l’entreprise, … car l’engagement du management de programme va plus loin que la simple mise en œuvre coordonnée d’une collection de produits. Les bénéfices doivent être effectivement réalisés.

Bien sûr, certains outils sont équivalents au management de projet : gestion des risques, gestion de la qualité, … Ils sont utilisés à une maille moins détaillée que sur chacun des projets. L’avantage de MSP est que le vocabulaire du management de programme est complémentaire et cohérent avec celui du management de projet, et de Prince 2 en particulier.

Un super chef de projet(s) ?

L’engagement du chef de programme est de produire les bénéfices. Cela commence par la stratégie d’entreprise et sa « vision », l’élaboration du programme et le coordination des projets et jusqu’à la production des services. Le management de programme s’implique jusqu’à la mise en œuvre et va jusqu’à la concrétisation des bénéfices.

L’objectif du chef de programme n’est pas de faire des produits, et en ce sens, il n’est pas un super chef de projet. Par contre, son rôle est aussi de contrôler les interfaces (ou les adhérences) entre les projets. Il faut même souvent s’assurer que deux projets du programme ne vont pas produire la même chose ou des produits équivalents. La coordination des projets prend une place importante dans le management de programme. Les risques d’échec sont nombreux.

Par exemple, si votre programme prévoit de construire un pont pour relier deux routes en construction, ne livrer qu’un pont et qu’une seule route n’a pas de sens … Votre programme est un échec.

Les 6 flux transformationnels d’un programme

La diversité d’application du management de programme interdit d’imposer une démarche trop formelle. MSP propose toutefois six phases qu’il faut voir comme des flux de transformation du programme. La physionomie du programme diffère à chaque fois de façon importante.

  • Identifier le programme, c'est-à-dire comprendre le contexte, la vision et la stratégie de l’entreprise.
  • Définir un programme, c'est-à-dire commencer à imaginer « assez bien » les projets qui vont composer le programme et permettre d’atteindre les objectifs. A ce niveau et bien en amont du démarrage du premier projet, les investissements souvent importants sont estimés.
  • Concevoir les tranches du programme : le programme peut être découpé en deux, trois, quatre, … tranches dans le temps.
  • Gérer les projets (et non gérer un projet !). A son niveau le management de programme s’assure de l’avancement de chaque projet, de leur faisabilité et de leurs livrables, de leur cohérence. Avec les personnes chargées de la conduite du changement, il prépare la réalisation des bénéfices.
  • Réaliser les bénéfices, le chef de programme applique ses métriques à chaque tranche et s’assure que les bénéfices constatés sont cohérents avec les estimations.
  • Clôturer le programme.

Echanges avec la salle

1/ Eclaircissement du vocabulaire : bénéfice, projet/programme, livraison/réalisation des bénéfices

Le terme de « bénéfice » s’entend au sens large « à l’anglo-saxonne » (benefit), c'est-à-dire qu’il s’agit souvent d’argent mais aussi d’autres avantages. Il faut qualifier et quantifier les enjeux.

Le programme s’engage sur les bénéfices. Prenons par exemple le cas d’un hopital dont le programme se compose de trois projets : un projet de bâtiments, un projet d’équipements (les appareils et leur installation), un projet d’organisation d’équipe (recrutement, formation, …). Seul l’ensemble coordonné de ces trois extrants (livrables) permet de faire quelque chose.

Pris séparément, chaque projet n’a pas de sens. De plus, le jour du démarrage, une phase de transition sera nécessaire pour atteindre le niveau fonctionnement espéré par la stratégie. Après cette phase, l’hopital fonctionne bien et par exemple amène effectivement une réduction du temps sur les opérations, qu’on peut effectivement mesurer. Les bénéfices sont réalisés, on peut clôturer le programme.

La réalité n’est jamais si simple. Le management de programme doit définir les bénéfices, définir comment on les mesure. Une revue des bénéfices doit avoir lieu régulièrement. On a affaire parfois à un faisceau de bénéfice. Le chef de programme doit être vigilant sur les bénéfices qui peuvent se transformer en contre-bénéfices …

2/ La sortie d’un Airbus est-il un programme ?

Pas au sens où MSP l’entend. Il s’agit d’un ensemble de projets dont la finalité est de plus en plus défini et de façon assez clair dès le départ. Par exemple, il n’y a pas de conduite du changement.

Prenons le cas du gouvernement écossais qui envisage de mettre en place des unités mobiles pour réduire les temps d’admission dans les hôpitaux. Il s’agit d’un programme, car cet objectif entraine de nombreux projets qui faut identifier et coordonner, et une conduite du changement complexe.

Il existe des projets qui sont plus ou moins difficiles. Il existe des programmes qui sont plus faciles que d’autres : la mesure est fonction de la clarté dans la définition des bénéfices ou des livrables.

3/ Existe-t-il vraiment des cas où des parties prenantes sont perdantes, et comment gère-t-on les évolutions de stratégie ?

Oui, bien sûr. Le management de programme doit être parfaitement transparent et honnête sur ce point et notamment auprès des parties prenantes qui sont perdantes.

Il n’y a pas de méthode tout faite pour gérer les évolutions de stratégie. Sur une période aussi longue que celle d’un programme, la seule chose dont on est sûr c’est qu’il y en aura.

Aussi, le management de programme doit être vigilant et revenir régulièrement sur les bénéfices attendus et ce qui peut les impacter. Parfois, le « nuage » devient tourbillon … et il faut peut-être changer le programme, ou tout simplement décider de l’arrêter.

Dans la boîte à outil MSP, il existe un outil de « résolution des incidences » que l’on mobilise si quelque chose ne se passe pas comme prévu. Il faut documenter les demandes et les modifications, et les instruire.

Il faut considérer les impacts positifs et négatifs de chaque problème, de chaque changement. Le management de programme réunit pour cela les experts, et fait de nombreux points avec les sponsors.

4/ Quelles sont les actions en cours à la DGME, et quelles différences culturelles voyez-vous avec ce que vous connaissez en Grande-Bretagne ?

Les travaux en cours à la DGME sont de nature méthodologique et concernent d’abord l’analyse des parties prenantes : identifier les parties prenantes, définir les impacts sur chacune, qualifier les bénéfices, … Des formations sont en cours d’appel d’offre, et on aimerait aussi organiser une dispositif de retour d’expérience dans les administrations.

En Grande-Bretagne, on a besoin culturellement de processus. On a besoin d’utiliser ce qui a prouvé son efficacité. C’est pourquoi il y une explosion des méthodes structurées, que les nombreux contributeurs font progresser en formalisant leur retour d’expérience. Sur Prince 2 et MSP, cela génère une nouvelle version tous les deux ans.

En France, on commence aussi à regarder ce qui marche chez les voisins. Par exemple, l’ESC-Lille est en cours de rapprochement avec le CERAM : c’est un beau programme, et nous allons utiliser MSP !

5/ Existe-t-il un dispositif de certification ?

Comme pour Prince 2, il existe un Niveau 1 « Fondations » à base de QCM et Niveau 2 « Praticien » plus élaboré et qui doit être renouvelé tous les 3 ans. Sur MSP, il existe un niveau supplémentaire de « Praticien avancé » sur lequel peu de personne sont concernées.

Un organisme, missionné par l’OGC, contrôle le sérieux et la qualité de l’ensemble du dispositif de formation et de certification. Par exemple, ESC-Lille qui est certifiée comme organisme de formation (ITO) sur Prince 2 et MSP, subit un contrôle tous les ans.

La certification est un gage pour la personne certifiée que le langage commun est maîtrisé, que la personne dispose d’un cadre structuré pour agir sur son projet ou son programme, qu’il a accès à un ensemble de retour d’expérience. Le certification est aussi une assurance pour l’employeur.

Des clubs MSP et des systèmes électroniques de partage d’expériences (newsgroup) existent par ailleurs.

6/ Quelle est la démarche d’implémentation de MSP, existent-il des outils associés et quels sont les compétences à mettre en œuvre ?

Les compétences à mettre en œuvre sont d’abord des compétences de management : définition des rôles, animation, … Bien sûr, MSP ne traite pas des compétences des experts (au sens des experts « métier »).

MSP se prête particulièrement bien à la combinaison des rôles, en fonction de la taille du programme notamment. Il a plein de possibilités d’adaptation. MSP est une boîte à outils, et chaque outil retenu par le chef de programme peut être adapté.

Ces outils sont surtout méthodologiques, il suffit de choisir le bon. MSP ne requière aucun outil informatique particulier ou privilégié.

Pour démarre avec MSP, le mieux est de procéder à un diagnostic sur vos projets et vos programmes en cours. Ce diagnostic doit mapper vos pratiques actuelles avec les référentiels Prince 2 et MSP. Vos pratiques ne sont pas forcément mauvaises, et il faut souvent identifier les « trous » et déterminer un plan de changement progressif.

7/ Comment cohabite MSP et Prince 2 avec la gestion de portefeuille de projets d’une part, et avec la gestion des changement d’ITIL d’autre part ?

Prince 2 couvre le management de projet, là où les livrables à produire sont identifiés. MSP couvre le management de programme, là où la stratégie débouche sur des bénéfices attendus, des actions à lancer et des risques à prendre, des parties prenantes, … Cet enchaînement est une décomposition systémique de type « top-down » pour tous les projets du programme.

Par contre, la gestion d’un portefeuille de projet dans une entreprise est plus vaste et plus transversale : une entreprise peut engager plusieurs programmes, beaucoup de projets existent sans forcément appartenir à un programme, …

La gestion d’un portefeuille de projets vise essentiellement à gérer un ensemble de ressources. Le management de programme est surtout orienté sur la gestion des dépendances entre ses propres projets et la réalisation des bénéfices.

Enfin, il est effectivement possible qu’une entité génère une multitude de changements (au sens d’ITIL) qui s’enchaînent et qui auraient dû être du ressort d’un projet ou d’un programme. Malheureusement, ni Prince 2 ni MSP ne sont capables d’identifier et de traiter ce genre de problème.

8/ Quels sont les derniers conseils que vous nous donnez sur le management de programme ?

  • Adapter la méthode à son sujet,
  • Eviter la précipitation et mener le changement dans le temps,
  • Se focaliser d’abord sur les parties prenantes, sur les bénéfices et leur réalisation !

Alain GUERCIO

Texte initialement publié dans la Lettre de l'ADELI


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