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« PETITS ÉCRITS » SUR LE MANAGEMENT : le blog

Les processus dans leur dimensions psychologique et sociologique

Le pilotage par les processus est-il moins nocif comme forme d’organisation ? On ne connaît pas (encore) la réponse, mais elle a le mérite d’être posée et nous le devons au Club des pilotes de processus.

Au hasard des rencontres, je me suis retrouvé le 2 octobre au soir dans une magnifique salle de conférence au Siège du Crédit Lyonnais. Le Club des pilotes de processus (C2P) m’invitait à une de leur séance plénière mensuelle.

Le thème du soir était « les processus dans leur dimension psychologique et sociologique ». Une quarantaine de participants sont restés attentifs près de trois heures aux discours forts différents, mais néanmoins complémentaires, des deux « psy » d’entreprise qui nous dévoilaient ce soir un fragment de leurs expériences.

Une psychologue chez les dirigeants

Evelyne Bertin est prospectiviste et psychanalyste. Elle est directrice de Transition Consulting et intervient plutôt auprès des présidents et des directions générales, et aussi à propos des cadres à haut potentiel.

Le monde est de plus en plus rapide et virtuel. Les dirigeants s’inquiètent parfois de ne plus pouvoir se rendre compte de ce qu’ils demandent, et quels efforts sont nécessaires pour y arriver dans les délais, … Beaucoup d’échanges se font sans rencontre physique, on perd donc l’expression du langage du corps qui peut jouer parfois le rôle de régulateur informel.

Le degré de « porosité » entre les entreprises et la Société s’est accru. Sur de nombreux thèmes, il faut prendre en compte l’existence de multiples parties prenantes et leurs diversités d’éthiques et d’intérêts. Cette complexité génère un stress important.

L’individualisme se répand. On porte beaucoup d’attention au respect des droits, mais moins à la notion de devoir … Même si on sait que rien n’est jamais complètement noir ou blanc, beaucoup de personnes se solidarisent un peu trop rapidement avec les soi-disant « victimes ».

Tous les rapports sociaux suivent la tendance à la contractualisation, jusque dans les familles quand elles sont recomposées. Il existe un problème du « vivre ensemble ». C’est devenu banal dans toute la Société en général, et dans l’entreprise en particulier.

Une entreprise est un être vivant. Chacune possède une psychologie, souvent très marquée par son fondateur. Pendant longtemps, et bien après la disparition de celui-ci et malgré les fusions-acquisitions, il reste quelque chose d’indicible mais de fort. Les nouveaux cadres dirigeants doivent respecter cela pour y ajouter leurs touches.

Seule une approche par les risques psychiques peut faire avancer ces thèmes dans les entreprises. Il s’agit bien sûr et avant tout de souffrances humaines, mais aussi de perte de productivité ou de manque d’innovation, de coûts d’image, voire de procès.

Ces problèmes sont largement sous-estimés en France. Certainement parce que la Sécurité Sociale assume une grande partie de leurs coûts financiers, contrairement aux USA.

Diversité de la psychologie du travail

Annie Madrières est consultante en psychologie du travail et directrice de l’Atelier des Métiers. Elle est aussi membre du Club des pilotes de processus, qu’elle suit avec intérêt dans ses travaux.

Tout le monde voit bien la psychologie du travail au service des DRH pour les recrutements, les évaluations, … Il existe aussi une psychologie clinique qui s’occupe des affects : les souffrances et parfois les drames, mais aussi l’épanouissement[1] au travail qu’il ne faut surtout pas oublier !

L’écart entre le travail prescrit (lettre de mission, fiche poste, procédure, instruction de travail, …) et le travail réel est un phénomène bien connu. Les organisateurs trop pointilleux doivent arrêter de chercher à le réduire à tout prix.

Le psychologue du travail estime quant à lui que cet écart entre le travail prescrit et le travail réel est indispensable à la bonne santé de l’individu, donc à sa motivation et à sa productivité. L’individu le transforme souvent en un espace de liberté, voire de créativité. Même si cet espace est tout petit, comme chez les femmes de ménage par exemple, il est porteur de « sens » pour la personne.

Actuellement, l’accentuation du travail prescrit fait courir de réels dangers. Comme pour les tâches manuelles, il commence à faire des ravages dans les activités intellectuelles. On rencontre même des cas de débordement où la prescription porte sur les comportements sociaux. C’est le cas du SBAM[2] (« Sourire », « Bonjour », « Au revoir », « Merci ») des caissières de supermarché.

Le psychologue du travail raisonne beaucoup sur les rapports du Sujet avec le Réel d’une part, ceux du Sujet avec Autrui.

Le rapport entre le Sujet et le Réel porte sur la réalisation de soi à travers la réalisation de quelque chose (même s’il s’agit d’immatériel). L’ergonomie et le rapport de l’Homme à la Machine sont étudiés également. Le rapport entre le Sujet et Autrui (donc les autres) passe par le langage et plus généralement les représentations.



Toute personne doit pouvoir se développer, et de manière équilibrée suivant ces deux axes : technique, langage. Une des conditions de ce développement est la reconnaissance. Bien supérieur à l’argent, c’est le mode de motivation le plus efficace qui soit … car il est vital.

Il existe deux types de reconnaissance, car un travail doit être utile et beau. La reconnaissance d’utilité doit être faite par le chef, voire par le client lui-même[3]. La reconnaissance de la beauté d’un travail ne peut être faite que par les pairs, ceux qui co-détiennent implicitement les règles de l’art …

L’autre condition du développement professionnel d’une personne est donc l’existence d’un collectif sur le « métier ».

Certains ont voulu faire disparaître cette notion pour la remplacer par celles d’employabilité, d’activité, de compétence, … La notion de « métier » résiste et les personnes s’y attachent très fortement. Le « métier » est identitaire. D’ailleurs, essayez de demander à un enfant « quelles compétences veux-tu avoir quand tu sera grand ? » …

Un collectif de métier gère un ensemble de règles plus ou moins implicites, largement partagés de façon plus ou moins formelles par les personnes qui exercent ce métier.

On s’aperçoit qu’un collectif de métier existe quand certains sujets font « controverse », notamment sur les évolutions dans les manières de faire et dans les façons de transmettre les connaissances. Ces controverses ne sont pas des crises négatives, c’est un mode naturel d’échange sur des convictions.

Processus psychologique ou psychologie du processus ?

Annie Madrières termine la conférence en nous faisant remarquer que beaucoup d’auteurs en management terminent leurs ouvrages sur l’importance des ressources humaines …

C’est une manière de dire qu’au bout du compte, ce sont bien les ressources humaines qui sont les plus importantes dans les organisations. Mais c’est un moyen aussi de ne pas avoir à traiter le sujet …

Le pilotage par les processus est-il moins nocif comme forme de management ? On ne connaît pas (encore) la réponse, mais elle a le mérite d’être posée et nous le devons au Club des pilotes de processus. Merci.


Alain GUERCIO

Article édité initialement dans La Lettre de l'ADELI

Avec tous mes remerciements au C2P et à l’AFAV

[1]  Je remercie Annie de ne pas l’avoir oublié : après plus de deux heures de conférence, je me demandais si je n’avais pas besoin d’aller voir un psy ! ;-)

[2]  Il y a quelques années, j’étais chargé de refondre un manuel à l’usage des commerciaux d’une grande banque. Chaque procédure commençait par la tâche : « dire bonjour au client ». J’ai proposé de les supprimer car soit les commerciaux lisaient cela et refermaient tout de suite le manuel, soit ils y trouvaient un intérêt et il devenait urgent pour l’entreprise de recruter de « vrais » commerciaux …

[3]  En écrivant, je me dis qu’il doit y avoir une énorme faute de management quand un travail est reconnu par le client mais pas par le chef …



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