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« PETITS ÉCRITS » SUR LE MANAGEMENT : le blog

Quel avenir pour l’industrie du conseil ?

En 20 ans, le conseil est passé d’une forme artisanale à une échelle industrielle. Cette industrie du conseil est devenue puissante, trop aux yeux de certains, car non seulement les résultats sont à mettre en regard des budgets mais la récurrence atteste aussi d’une forte dépendance. Alors qu’adviendra-t-il à 10 ou 20 ans ? Un scénario peut être esquissé.

Depuis le début des années 90, le marché du conseil aux entreprises s’est profondément transformé. Il y eut d’importants mouvements de concentration d’une part et beaucoup de rapprochements avec des sociétés ou groupes de secteurs connexes, tout particulièrement informatique. Au point que la frontière entre conseil en stratégie/management/organisation/… et IT n’est plus très claire. Les seniors de la profession mesurent combien leurs business à vocation aujourd’hui à développer le business aval, l’IT. En cela, cette transformation n’a fait qu’accompagner la globalisation de l’économie et ses phénomènes d’intégrations verticale et horizontale. Ainsi les compagnies internationales peuvent faire appel à des prestataires internationaux, même si les transformations internationales ne sont pas légions.

Les grands acteurs du conseil sont maintenant pour beaucoup cotés en bourse. L’appel au marché de capitaux questionne puisque leur valeur intrinsèque est en théorie fondée sur leur capital immatériel, humain avant tout. Mais il leur faut dorénavant financer leur développement, et des acquisitions pour assurer leur croissance ou capter des relais de croissance (par exemple, Digiplug, racheté en 2007 par Accenture, vend, pour faire simple, des solutions de digital broadcasting aux médias et opérateurs téléphoniques).

Ce faisant, les modèles des acteurs du conseil se sont peu à peu transformés. Dans cette nouvelle compétition, il a fallu imprimer les marques et marketer les offres. Les staffs ont pris de l’ampleur. Les organisations se sont largement pyramidalisées. Le sur-mesure a fait place au prêt à porter, aux démarches « templatées », nourries aux benchmarks. La production à petite échelle et souvent à forte valeur ajoutée s’est effacée pour une production à grande échelle. Alors qu’un consultant calibré pouvait traiter seul un dossier donné en 2 mois, une telle offre est aujourd’hui irrecevable. Ce sera au minimum 2 juniors, un senior et quelques jours d’un directeur de mission. Ce sera probablement un peu plus long et un peu plus cher. Mais c’est plus crédible aux yeux de tous. Lorsqu’une équipe de 5 bons consultants pouvait satisfaire la demande, il faudra aujourd’hui en déployer peut-être 20. En cela, il n’est pas exagéré de considérer que le conseil s’est massivement industrialisé, que l’industrie du conseil est la réponse aux géants de la distribution, de la banque ou de l’assurance, de l’industrie, lorsque ses géants sont en quête de forces pour accomplir leurs transformations, globale ou locale.

Avec un peu de recul, les entreprises ont pris conscience que leur relation avec certains de leurs cabinets de conseil s’établissait dans la durée, que le nombre de consultants travaillant pour eux était significatif. La facture globale dépassant l’épaisseur du trait, il est devenu alors logique de chercher à l’optimiser. C’est ainsi que les politiques d’achat, à travers le mécanisme de référencement et des contrats cadres, ont privilégié les plus gros, pour bénéficier de conditions de prix en rapport au volume de prestations acquis. Sage politique, faisant le bonheur des élus, puisque cela permet de leur garantir un revenu et de fermer la porte aux autres, leurs concurrents et aussi les plus petits, plus agiles. Le business du conseil est ainsi devenu sensiblement récurrent alors qu’il était par nature discontinu.

Ces politiques de massification des achats de prestations ont donc renforcé la dépendance réciproque entre les acteurs ! Comble de l’ironie, certains dirigeants dénoncent parfois cette dépendance, et avoue leur désarroi pour sortir de cette situation.

Effet collatéral malheureux, le « niveau » des prestations a sensiblement baissé en gamme, « juniorité » oblige, prix journaliers au plus bas obligent. L’offre et la demande de compétences s’accorde unanimement sur la spécialisation : vu sous l’angle techniciste, il faut à une banque un expert moyen de paiement ou autre (qui n’a jamais fait que cela), à un industriel un expert logistique camion ou autre (qui n’a jamais fait que cela), … etc … Et on est étiqueté expert (alias sénior) après 3 ou 4 ans d’expérience. Résultat fâcheux : alors que les enjeux sont multiples, on aligne des sommes d’expertises relatives (les coordinateurs sont eux-mêmes des experts en coordination). Outre le fait qu’on légitime que l’entreprise n’a plus d’expertise, puisqu’il faut aller la chercher ailleurs, on préfère, pour répondre à la complexité, additionner des cerveaux spécialisés à des cerveaux polyvalents.

Il demeure bien-sûr des consultants compétents, talentueux, sachant mobiliser autant leur cerveau droit que leur cerveau gauche, mais la masse est plus occupée à caler la situation en présence dans un template, à mettre à jour des plans d’action, qu’à imaginer, concevoir, négocier une solution correspondant à un problème posé, s’il en est.

Et à l’heure où la transformation renvoie rapidement à l’innovation (de rupture ou non), les préconisations ont souvent un air de déjà vu, ailleurs. Le mimétisme inter-entreprises l’emporte sur l’originalité. Et l’industrie du conseil en est le vecteur.

 

Le tableau n’est donc pas très beau. Mais il plait encore, car il rassure. Toutefois, un nombre croissant de managers s’inquiète d’une situation qui en définitive leur échappe, considérant trop grand le pouvoir aux mains de leur conseil. Le modèle est peut-être sur le point de craquer. Alors on peut se poser la question : quel avenir pour l’industrie du conseil ?

Dans une économie en crise, peut-être durablement installée, la pression sur les prix se maintiendra, voire s’accentuera. Industrie de main-d’œuvre (25.000 emplois en France, Deloitte : 45.000 collaborateurs dans le monde et 500 en France, selon le site de recrutement Deloitte France, 30.000 selon son CEO qui confie recruter 18.000 personnes par an ;-), le conseil en stratégie/management/organisation suivra très certainement le chemin emprunté par l’IT : « l’off-shore ». Dès lors que les offres sont formatées, les méthodes formalisées, les procédures établies, les technologies disponibles (visio et outils collaboratifs), il n’y a plus de barrières pour que la production de conseil se réalise à distance. Les forces locales seront essentiellement commerciales, juridiques, de gestion du « delivery » et de la relation client. Elles se concentreront donc sur les contrats. Les consultants eux seront indiens ou autres, les équipes très internationalisées, réunies virtuellement pour la circonstance, sans qu’aucun de ses membres n’aient jamais travaillés ensemble auparavant. Pourquoi le faudrait-il, puisque l’intelligence est dans la méthode et non dans les têtes qui la mettent en œuvre ?

Les cabinets spécialisés auront probablement du mal à survivre, sauf s’ils rejoignent des réseaux internationaux de cabinets dédiés à leur spécialité. Les consultants indépendants auront pour principaux clients … les cabinets de conseil. Les cabinets de taille intermédiaire n’auront qu’une envie : grandir, c’est à dire fusionner pour atteindre une taille critique relative … qui ne cessera d’augmenter.

Par ailleurs, dans la mesure où ces grandes structures ne sont pas des lieux de carrières professionnelles, les entreprises accueilleront de plus en plus d’anciens jeunes consultants, bien formés aux processus de transformation, sachant assez bien conduire des projets. Cela pourrait alors avoir une incidence sur le recours à l’assistance extérieure.

Enfin, apparaîtront probablement quelques plateformes d’entraide spécialisées, à la manière de StackExchange pour les technos, Tuts+ pour le design. Il y aura un conseil 2.0, communautaire, où se partageront les expériences. Les réseaux sociaux professionnels actuels, LinkedIn en tête, n’offrent pas cette valeur ajoutée. De nouveaux réseaux sociaux professionnels verront le jour. Les anciens jeunes consultants et les consultants indépendants aimeront y contribuer.

Ce modèle disruptif du conseil pourrait alors bien faire vaciller l’industrie du conseil.

Laurent HOUMEAU

A lire : "Are there too many consultants in the world? Jim Moffatt, chairman and CEO of Deloitte Consulting, thinks the answer is probably 'yes'" (The Washington Post, interview par Lillian Cunningham, le 14 novembre 2014)



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